lundi 25 juin 2012

Compile du retour été 2012

Quelle absurdité que la masse soit plus friande des histoires de fesses de starlettes éphémères que d’Art, de musique, de choses qui vous retournent vraiment les tripes.

Barış Manço est le dieu du rock en chemise jaune citron, bagouzes incroyables et moustache de Gaulois. Et pourtant il est turc. Il est entré directement au panthéon des grands artistes de son pays et même de toute la communauté turcophone, au point que son prénom, inventé par ses parents (Barış signifie la paix ; son frère s’appelait « guerre ») est devenu un prénom répandu en Turquie. La première fois que j'ai pris un taxi en Azerbaïdjan, l’autoradio a difficilement craché Daglar Daglar de Bariş. Quelle est la probabilité en rentrant dans un taxi français de tomber sur Melody Nelson de Gainsbourg, Dashiell Hedayat ou Triangle, hein.

Le rapport entre les deux paragraphes qui précèdent ?
Aujourd’hui je vais vous parler de rock psychédélique dans le monde entier et absolument pas de la dernière liposuccion de Carla Bruni.
Ah, je vous avertis de suite, je suis complètement opposé à l’idée de décrire la musique avec les mots, donc je vous en ferai écouter. Je parlerai du contexte, des artistes, mais sans adverbe ni comparaison ampoulée. Pas de séminal, ni de foutraque ni d’album de la maturité ici ok ? Si vous aimez les digressions remplies de descriptions prévisibles, utilisant ces adjectifs habituels et pompeux, vous devez acheter les Inrockuptibles ou Télérama.

Un mouvement à la conquête... merde, titre prévisible

Il se développe actuellement (depuis quelques années, ce n’est pas une mode) une communauté de collectionneurs de disques différents ; ils sont à la recherche d’artistes de rock, de jazz et d’expérimentations exotiques venant de pays que l’on associe rarement au rock chevelu et « sous influence ». Je ne dis pas que ces amateurs de pédale fuzz, d’intro batterie seule et d’orgue Hammond n’écoutent pas leur part d’Ennio Morricone, Le Orme, Serge Gainsbourg, Aphrodite’s Child, Triangle, Kenny Rogers, Can ... Je m’égare en faisant une liste des grands classiques du rock psychédélique issus des pays habituels que sont la France, l'Italie, le Royaume-Uni, l'Allemagne et les États-Unis. Ce qui m'intéresse dans cet article c'est la chair fraîche, les contrées inhabituelles.

Vent frais du matin

En plus, ces disques venus de loin apportent quelque chose que nos artistes n’ont le plus souvent pas : la candeur. Cette sincérité nécessaire pour écouter un morceau de deux minutes trente qui parle d’amour impossible entre deux adolescents ou de la beauté d’un vol de mouettes. Vous voyez, dur d’être sérieux là. Et bien au milieu des riffs aussi accrocheurs qu’un morceau des Beatles et de lignes de basses aussi funky que celles des JB’s nos Turcs à pilosité augmentée trouvent le moyen de nous faire pleurer de bonheur musical, nous Européens blasés de tout. Cette quête du saint beat ultime est facilitée par des labels spécialisés dans la réédition des œuvres incroyables de ces « aspirants Jimi ». Je vous conseille Finders Keepers et Sublime Frequencies comme point de départ dans ce monde. Et je vous donne aussi une liste de références à la fin de mon élucubration. Avouons tout de suite qu’internet et « le petit oiseau bleu » sont pour beaucoup dans la diffusion de ces musiques. Une découverte « illégale » finit très souvent par occasionner une réédition officielle quelques mois plus tard. Vous trouverez même des articles dans Vogue sur la compilation de Christophe Lemaire avec le label très branché Stones Throw. De même le DJ Erol Alkan, qui fait partie des plus chers et des plus courus, a monté un projet Beyond the Wizard’s Sleeve entièrement consacré à ce genre de musique. Alors cette communauté se développe, s’étend. Elle répertorie tous ces artistes fous venus d’ailleurs, mais pourquoi ? Ils nous donnent une ouverture et une version souvent épurée, sans affectation, du rock et du folk que l’on aime.

 Recyclage

D’ailleurs le hip hop indépendant (pas celui avec les bagouzes et les putes en string) et l’électro puisent sans vergogne dans ce réservoir de samples à grosse batterie et riffs piquants. Il est d’autant plus difficile de résister à cette tentation que le répertoire de samples occidentaux s’épuise, alors que les auditeurs sont de plus en plus exigeants. On le sait l’originalité fait vendre : quoi de mieux alors que l’intro d’un morceau de folk iranien dont les ayant-droits sont introuvables ou morts ? Sample gratos en vue. Quand je parle de pays bizarres, je ne vous parle pas de l’exotimse des sentiers battus ; du Brésil et de sa Tropicalia archi connue de Gal Costa et Caetano Veloso ou de la musique africaine géniale des swingueurs fous du Poly-Rythmo de Cotonou et de l’Éthiopie. Ces musiques africaines ont pour moi le malheur d’attirer ce genre de fans qui sombrent facilement dans le côté « hippie-les pauvres sont mignons-l’injustice c’est mal-Tryo c’est bien ». Je parle au contraire de pays et d’artistes vraiment bizarres et avec des noms imprononçables c’est mieux: des rockeurs musulmans, des poètes yiddish, de l’expérimentation soviétique. Or tous ces artistes de contrées mystérieuses pour le fan de grosses basses et de batterie ont connu leur heure de gloire et parfois leur heure dernière (cf je fais du rock au Cambodge au moment où les Khmers rouges prennent le pouvoir) dans les années 60 et 70. Et j’affirme que cela n’est pas un hasard si l’apogée de ce style de musique se situe dans ces décades magiques. Il se passe là-bas des choses tragiques et magnifiques.

Partout dans le monde ?

Je vous parle de Barış Manço (Turquie), Googoosh et Kourosh Yaghmaei (Iran), Pesnyary (Biélorussie), Omar Khorshid (Égypte), Shin Jung-Hyun (Corée du sud), Collage (balte machin), Asin (Philippines), Srei Sothear (Cambodge). Quels peuvent être les points communs des sociétés de ces pays aussi éloignés, avec des cultures aussi différentes ? À cette époque ? Et oui, le tournant des années 60 et 70 est un moment unique. Dans cette marmite sont jetés les ingrédients explosifs de la diffusion du rock anglo-saxon, du Tiers-mondisme, de la guerre du Vietnam. Tous ces pays alternent des périodes d’oppression, de violences et d’espoir de libération. Les pays asiatiques accueillent les GI’s et les musiciens locaux cherchent à les distraire en leur jouant du rock à leur manière. Les Iraniens veulent s’occidentaliser sans se renier comme les Afghans ou les Turcs. Voilà pourquoi ces artistes ont marqué les mémoires nationales, accompagnant des époques brillantes ou violentes de leur pays. Le rock turc, Anadolu rock, disparait avec le coup d’état de 1980 ; les artistes khmers comme iraniens cessent toute activité au même moment et pour certains il n’y pas de reconversion... Je ne comprends toujours pas comment autant de groupes ont pu faire du garage rock de l’autre côté du rideau de fer. Ils sont en plus considérés par la très grande majorité des autochtones comme des standards de leur culture. Dans Gongdong gyeongbi guyeok JSA de Chan-Wook Park, les militaires des deux Corées coincés dans la DMZ discutent de leur vénération pour Shin Jung-Hyun. Voilà, les folkeux sont écoutés par les bidasses des deux camps. Comparez avec la situation en Europe, la condescendance des élites et l’ignorance des masses, l’oubli dans lequel sont tenus les artistes rock ou folk majeurs des années 60 et 70. Pouvez-vous imaginer des groupes pointus (ou aigus comme dirait ma femme) Gong, Brigitte Fontaine ou encore Catherine Ribeiro écoutés aujourd’hui par le grand public français et diffusés régulièrement à la radio ... aux côtés des icônes yé-yé comme Cloclo ou Johnny ? Voilà nous avons renié nos trésors psychédéliques quand d’autres pays, d’autres cultures, reconnaissent ces artistes pourtant tellement influencés par l’Occident. Ce qui est sûr, de toute façon, c’est que tout cela s’entend.
Et s’écoute.
Amen.

Albums : 3 Hurel – Hurel arvisi Barış Manço – Dünden Bugüne (réédition 2009)
Selda Bağcan – Selda (réédition en 2006)
Omar Khorshid – Guitar el Chark (Sublime Frequencies 2010)
Beyond The Wizards Sleeve – Beyond The Wizards Sleeve Re-Animations vol 1
Compilations :
Christophe Lemaire and Now-Again Present: Where Are You From? (Now Again 2011)
Ongaku 70 • Vintage Psychedelia In Japan (Hiruko records 2011)
Pomegranates (finders keepers 2010)
Thai dai - the heavier side of the luk thung underground (finders keepers, 2011)
Well hung - 20 funk rock eruptions from beneath communist hungary vol. 1 (finders keepers 2008) Cambodian Psych-out (Defective 2007)  

Compilation concoctée par votre serviteur pour cet article :Pangolin Psych-Funk


Cet article et la compilation qui va avec était destinée à être publiée ailleurs en janvier mais une erreur de navigation les avait envoyés dans un vortex.

01 - Baris Manco (Turquie) - Daglar Daglar (1970) Son tube intersidéral, ode aux montagnes, la campagne qu’ont quitté les hommes partis à la ville.
02 - Ahmad Zahir (Afghanistan) - Instrumental (197?) Fils d’un cousin du roi, il a donné ses lettres de noblesses à un métier dénigré jusqu’alors : chanteur. Assassiné en 1979 par les communistes.
03 - Collage (Lituanie) - Mets Neidude Vahel (1977) Chef d’œuvre ? Chef d’œuvre !
04 - Sroeng Santi (Thaïlande) - Kuen Kuen Lueng Lueng Épique reprise/massacre de Black Sabbath.
05 - M. Ashraf Feat Ahmed Rushdi (Pakistan) - Dama Dam Mast Qalandar (The Sound Of Wonder) Lollywood : Bollywood pour les Pakis. M. Ashraf : RD Burman pour les Pakis.
06 - Srei Sothear & Sin Sisamouth (Cambodge) - Venus Reconnu sous Sihanouk comme le plus grand auteur-compositeur au pays. Assassiné avec tout son groupe par les Khmers rouges.
07 - Googoosh (Iran) - Talagh La star féminine de l’Iran sous le Shah, elle décide de rester après 1979 malgré l’interdiction faite aux femmes de chanter. Finira par s’exiler quelques années plus tard.
08 - Kim Jung Mi (Corée Du Sud) - The Sun (1973) En bon disciple de Gainsbarre, Shin Jung-Yun prend sous son aile la jolie Kim Jung Mi et lui concocte des albums lumineux dont voici un chef d’œuvre d’extrait.
09 - Pesnyary (Belarus) - Alesia (1974) Ils ont adapté des chants traditionnels pour échapper à la censure. Et mis des fringues en alu scintillant pour tromper les caméras de surveillance (ah non ?)
10 - 3 HurEl (Turquie) - Gonul Sabreyleye Sabreyleye Les trois frères Hurel, du rock qui claque.
11 - Golden Wing (Indonésie) - Hear Me Non rien à dire de spécial.
12 - Phoenix (Roumanie) - Nunta (1972) Comme pour Pesnyary, si vos paroles sont extraites du folklore traditionnel vous avez droit aux pédales de disto
13 - Kuni Kawachi (Japon) - The Cat (1972) Le claviériste barbu a traîné avec Flower Travellin’ Band, le meilleur groupe de hard rock japonais (au sens Black Sabbath du terme)
14 - Heather Jones (Pays De Galles) - Nos Ddu Bon celui là est exotique pour d’autres raisons, hors-sujet mais bon quand même.

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